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8 ans plus tard

 
 

McLean, Virginie, États-Unis.

 –  Espérons qu’il sera à la hauteur, indiqua Fox à Prescott.
 Mike Prescott se trouvait dans la bibliothèque de la résidence de Cornelius Fox. Il regarda sa montre. Leur invité ne devait plus tarder à arriver. Posés sur la table de lecture, un seau à champagne et un paquet-cadeau l’attendaient.
 – Avec Carlson, nous n’aurons pas les mêmes problèmes, le rassura Prescott.
 En huit ans, l’apparence physique de Cornelius Fox était restée inchangée. Cela faisait vingt ans qu’il avait l’air d’un vieillard. Pour sa part, Prescott portait maintenant de petites lunettes rondes et sa calvitie naissante laissait entrevoir le haut de son crâne. Cet ancien militaire était devenu au fil des années l’éminence grise de Fox. Il était réputé pour son intelligence extraordinaire et ses plans à la moralité douteuse. Ce jeune ambitieux était le véritable pilote du conglomérat CorFox, mais aussi le fils spirituel de Cornelius Fox. À quatre-vingts ans, toujours trop occupé par les affaires et son principal client, l’administration américaine, Fox n’avait jamais trouvé le temps ni de se marier ni d’assurer sa descendance.
 Pendant huit années, tous les plans élaborés par le think tank New American Dream avaient été appliqués à la lettre par le locataire de la Maison Blanche. Jamais ses membres n’avaient connu une période aussi faste. Le groupe CorFox avait obtenu une large part de ce gâteau, mais Cornelius Fox regrettait seulement que l’un de ses plans n’ait pas avancé. Celui qu’ils avaient placé au pouvoir avait été incapable de renvoyer les Américains sur la Lune. Sous son impulsion, la NASA avait bien lancé un vaste programme baptisé Constellation, mais celui-ci pataugeait. Aujourd’hui, Fox et Prescott espéraient pouvoir donner un nouveau départ à la conquête de l’hélium 3 lunaire.
 Leur visiteur était en retard. Ils s’impatientaient. Le carillon retentit finalement.
 – Le voilà, lâcha Fox, excité par la perspective de cette entrevue.
 Une limousine noire franchit les grilles de la résidence de Cornelius Fox. Celle-ci était située en proche banlieue de Washington, à McLean, l’un des lieux de résidence les plus prisés des États-Unis. On y croisait le Gotha de la capitale fédérale : des diplomates, des membres du Congrès, des hommes d’affaires mais aussi des cadres de la CIA voisine. Tous y menaient une existence discrète. Cornelius Edwin Fox III y avait naturellement élu domicile. Son domaine de plusieurs dizaines d’hectares y passait presque inaperçu.
 Il était protégé des regards par une muraille de pierre rehaussée d’une puissante ligne électrifiée, dont les oiseaux du quartier avaient appris à se méfier.
 Cornelius Fox n’allumait jamais ses lumières extérieures. Les phares de la limousine éclairaient l’allée de gravier. Au milieu du parc se dressait une somptueuse demeure du dix-neuvième siècle, dessinée par Thomas Jefferson lui-même. Passionné d’architecture, l’ancien président des États-Unis avait introduit le style palladien dans son pays. La propriété de Cornelius Fox, avec ses briques rouges, ses fenêtres de bois peintes en blanc et son dôme central, était sa plus belle réalisation. Seuls la parabole satellite, l’héliport et le réseau de caméras de surveillance rappelaient aux rares visiteurs qu’ils étaient au vingt-et-unième siècle.
 La voiture se gara devant le porche principal. Le chauffeur en livrée ouvrit la porte au mystérieux passager qui se dirigea d’un pas rapide vers les gardes, à peine discernables dans l’obscurité. Ils le conduisirent vers ses hôtes.
 Les portes de la bibliothèque s’écartèrent et Robert Carlson, élu la veille quarante-quatrième président des États-Unis, pénétra dans la pièce. Cornelius Fox se leva pour l’accueillir. Malgré sa cinquantaine finissante et une campagne éreintante, Carlson était dans une forme resplendissante : ses cheveux plaqués en arrière, sa raie parfaitement tracée sur le côté et son costume cintré à rayures lui donnaient une allure de jeune loup.
 – Monsieur le Président ! lui lança Fox sur un ton amusé en levant les bras vers le ciel.
 – Pas encore ! plaisanta Carlson. Je n’ai pas encore prêté serment. Il faudra attendre janvier pour les révérences !
 Prescott salua leur invité sans même lever les yeux. Carlson l’avait déjà rencontré à plusieurs reprises et il s’en méfiait comme de la peste.
 – Toutes mes félicitations, Carlson, fit Fox en débouchant la bouteille de champagne qui attendait dans le seau. Je suis vraiment heureux que vous ayez remporté ces élections.
 Carlson connaissait Fox depuis trop longtemps pour croire un mot de ce qu’il venait de dire. Pour la santé de ses affaires, Fox se devait de toujours avoir un lien « privilégié » avec le locataire de la Maison Blanche, et il avait évidemment investi autant sur la campagne de son opposant. C’était une tradition familiale que son père avait instaurée.
 Prescott servit les coupes de champagne. Ils trinquèrent à la victoire de Carlson. Ce dernier porta la flûte à ses lèvres, le breuvage était insipide. Dans un souci de patriotisme, Fox avait fait l’acquisition d’un vignoble en Californie dont il infligeait les productions médiocres à ses visiteurs.
 – Carlson, dit Fox, je vous remercie d’être venu jusqu’ici, surtout en ce jour où vous devez être fort occupé.
 En effet, Carlson aurait préféré continuer à festoyer au siège du parti. Mais Fox était son premier donateur, et il n’avait pas pu se dérober à cette visite qu’il espérait la plus rapide possible.
 – Il n’y a pas de quoi, monsieur Fox, c’est toujours un plaisir, feignit Carlson. Je suis d’ailleurs impatient de connaître le motif de votre invitation.
 – Pour cela, je vais vous demander d’attendre un peu, lui répondit Fox, et de bien vouloir d’abord accepter ce petit cadeau.
 Carlson saisit le paquet que le milliardaire lui tendait. Cela lui rappelait les mauvaises farces et attrapes de son enfance. Légèrement inquiet, il le soupesa, défit avec délicatesse le nœud, puis retira de la boîte, non pas un diablotin, mais un globe gris monté sur un pied de métal. Il déposa le socle sur la table de lecture et fit tourner la sphère.
 Il ne reconnut aucun des continents terrestres, il s’agissait en fait de la Lune.

 
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