Jean-Pierre Goux

L'interview Ombres et Lumières 2012

(cliquez ici pour l'interview Siècle bleu de 2010)

 

Jean-Pierre Goux, vous sortez enfin, Ombres et Lumières, la suite de votre saga Siècle bleu. Pouvez-vous nous en raconter brièvement l'histoire ?

Abel Valdés Villazon, le héros, est à la tête d'une organisation éco-activiste du nom de Gaïa. Traqué au fin fond du pays najavo, il décide de révéler un secret d'Etat et espère faire chuter le gouvernement américain. Or, il ignore que derrière ce mensonge se dissimule un complot bien plus vaste, impliquant Pékin, Washington, un milliardaire américain du nom de Cornelius Fox et surtout les grandes organisations criminelles.
Il s'attire alors les foudres de la Maison Blanche et devient l'objet d'une traque impitoyable avec sa femme Lucy. Heureusement pour eux, leur chemin croisera celui d'un mystérieux hacker qui changera le cours de leur vie et les aidera dans leur combat. Ils se retrouveront au coeur d'une révolution pacifique, la Révolution bleue, capable d'inverser la marche du monde.

Pourquoi nous avoir fait languir deux ans depuis Siècle bleu ?

Si vous avez attendu, ce n'est pas par sadisme de ma part. L’écriture du livre m’a pris près d’un an et l’affinage du livre a nécessité une autre année. J’aurais aimé aller plus vite, mais tout d’abord je n’écris que la nuit (boulot et famille obligent). De plus l’actualité s’étant accélérée, je me suis senti dans l’obligation d’aborder certains thèmes que je réservais pour d’autres tomes. J’espère que les lectrices et des lecteurs trouveront que l'attente était justifiée.

Ombres et Lumières peut-il être lu indépendamment du premier tome ?

Oui, complètement. Cela a d’ailleurs constitué une grande partie du travail d’affinage. Il était important que les deux livres puissent être lus séparément, même si Ombres et Lumières raconte les 14 jours qui suivent Siècle bleu. Comme l’avait dit à juste titre un critique, le premier tome n'était qu’un prologue, une mise en exposition, non nécessaire à la lecture du second où les concepts fondamentaux sont rappelés.

L’actualité a-t-elle justement été une source d’inspiration ?

Écrire pour moi est un combat et celui-ci s’inscrit dans notre temps, notre siècle, le Siècle bleu. Un combat pour dénoncer, mais surtout pour tenter de décrypter et d’éclairer. L’actualité n’est donc pas véritablement une source d’inspiration mais plutôt un baromètre de l’état de l’humanité. Pendant que j’écrivais la nuit ce second tome, je suivais d’un œil inquiet les catastrophes qui se succédaient : l’échec des négociations sur le climat, le renoncement généralisé sur l’écologie, Fukushima, le franchissement du seuil des 7 milliards d’humains, l’explosion du prix du pétrole, la marée noire de Deepwater Horizon, les tensions nucléaires entre l’Iran et Israël, la faillite des États-nations, l’arrêt de la navette spatiale, le développement effréné du crime organisé et de la prédation financière… Et dans le même temps, je voyais les dirigeants incapables d’endiguer ces phénomènes dont l’humanité était pourtant responsable. Je sentais donc tout ça autour de moi. Si on invente une utopie aujourd’hui et si on veut qu’elle puisse être utile, elle doit tenir compte de ces faits et être plus forte qu’eux. C’est ce que j’ai essayé de faire et cela n’a pas été simple !

Cette urgence s’est-elle ressentie dans l’écriture ?

Je crois. D’après les premiers retours que j'ai reçus, Ombres et Lumières est plus sec, plus épuré, plus direct. Il n’y avait pour moi plus de temps à perdre, il fallait agir, aller vite. De plus, la forme du thriller est particulièrement adaptée à la mise en scène et à l'analyse de notre époque. A chaque fois qu’une nouvelle catastrophe survenait, je me devais de hisser un cran plus haut le niveau d’engagement de mes héros, pour qu’ils soient à la hauteur des enjeux démesurés de ce siècle. In fine, mes personnages souffrent beaucoup plus que dans Siècle bleu… Certains jours, je me suis demandé si le monde n’allait pas s’écrouler avant que ce livre ne sorte !

Ce livre est donc plus noir que le précédent ?

Oui, très certainement car l’époque dans laquelle nous vivons n’est pas la même qu’il y a 3 ou 5 ans quand j’ai écrit le premier tome. Ce livre va tourmenter certains lecteurs, mais il fallait que je dise certaines choses, des vérités que nos dirigeants n’ont pas toujours comprises ou n’osent pas affronter.

Mais rassurez-vous, comme je déteste les gens qui critiquent et noircissent sans apporter de solutions, j’ai aussi essayé de pousser beaucoup plus loin le côté lumineux du livre. Presque jusqu’à un stade mystique. Cela en surprendra certains, mais je l'assume complètement.

Compte tenu de la noirceur du monde, j’ai commencé l’écriture d’Ombres ettLumières par ces parties lumineuses. En effet, je sentais que le reste serait une terrible descente aux enfers et que je n’aurais jamais trouvé la force de trouver des solutions. Bien m’en a pris car à la fin je n’avais plus de force. Il faut rêver tant que l’on est encore frais. Dans ce livre, les héros vont vraiment illuminer le monde pour essayer d’en chasser les Ombres. En fait je ne crois pas à l’écroulement du monde comme certains nous le prédisent par exemple pour le 21 décembre 2012. Les Mayas disaient d’ailleurs que nous serions plutôt à la fin d’un cycle, et donc au commencement d'un autre.

Parallèlement aux choses très oppressantes qui nous entourent, il y a aussi partout autour de nous un réveil de l’empathie, une volonté de changement, de vivre autrement comme il n’y en a jamais eu. Nous sommes aujourd'hui à un point de bascule, soit le monde vire à la barbarie soit vers quelque chose de vraiment extraordinaire. Toute l’action du livre se déroule sur cette ligne de crête (symbolisée par cette fine pellicule d'atmosphère que vous voyez sur la couverture). Je crois personnellement en la seconde option. Et le changement ne viendra pas des politiques. Il viendra des peuples et de leur capacité à innover, à rêver et à créer de la beauté. Et du hasard. Ne sous-estimons pas l’improbable.

Ce livre est aussi une leçon sur le courage, l’engagement et la persévérance. Pour réussir, les héros devront tout donner. La résistance française pendant la Seconde guerre mondiale m’a servi d’exemple. Je suis un admirateur de Joseph Kessel et particulièrement de L’Armée des ombres. À cette époque, on ne demandait pas aux résistants s’ils étaient optimistes ou pas. Ils se battaient pour leurs idéaux, c’est tout. Et ça a marché. Le pire dans la vie c'est le renoncement. Il mène inéluctablement au suicide ou à la mort.

La couverture du livre illustre bien ce combat de la lumière contre les ombres. Par rapport au tome 1, le paysage navajo plein de couleurs est apparu. C’est l’espoir. Mais à tout moment, il peut disparaître. Il se maintient car il y a toujours cette étincelle de résistance.

Comment vous sentez-vous après l’écriture de ce livre ?

Vidé mais heureux. Comme je suis un anxieux chronique, je pensais que l’écriture me guérirait de mes vieux démons. Mais, au cours de ce projet, je m’en suis découvert quantité de nouveaux ! J’ai perdu une partie de ma candeur, mais je m’efforce de conserver un regard d’enfant, plus lucide peut-être. D’une certaine façon, c’était un long tunnel d’où la lumière a fini par jaillir. A la fin, je me suis dit que la victoire était possible. C’est l’essentiel.

Je sais que ce livre ne plaira pas à tout le monde, mais j'espère qu'il fera au moins débat. Notre époque a besoin que l'on parle des vraies questions. En 1100 pages, dans le tome 1 et le tome 2, j'aurai dit ce que je pensais. C'est mon acte de résistance contre un futur que je refuse, pour mes enfants et pour tous les autres enfants du monde. On verra si ces livres, à sa petite échelle, parviennent à changer un peu les choses.

Duquel de vos personnages vous sentez-vous le plus proche ?

De la plupart d’entre eux, même des plus cyniques. J’aurais évidemment aimé aller dans l’espace comme l’astronaute Paul Gardner pour voir la Terre d’en haut, et j’aurais aussi aimé être un guérillero écologique comme Abel mais je pense que d’autres sont meilleurs que moi dans cette tâche. Je suis trop distrait et maladroit, et je suis meilleur à réflechir (c’est ce que j’avais dit au service militaire). Dans un autre ordre d’idée, je rêverais d’écrire la thèse de Lucy sur L’Economie dans les petits mondes. Je le ferai peut-être un jour, qui sait. Mais le personnage dont je me sens le plus proche, est peut-être un nouveau venu : Julio.

L’action se déroule dans l’ouest américain, pourquoi ?

Parce que c’est le territoire de tous les contrastes. On y trouve à la fois la folie de Las Vegas, la splendeur du Grand Canyon et des autres formations géologiques, la sagesse ancestrale des Indiens mais aussi les plus grandes bases militaires du pays où ont par exemple été mené les premiers essais nucléaires. Le rêve et l’horreur. Tout le projet Siècle bleu.

Pourquoi avoir choisi de parler des mafias dans un thriller qui se veut écologique ? On s’éloigne un peu de vos bases, non ?

Pas du tout. Pour moi, les deux phénomènes sont malheureusement indissociables : les mafias et autres cartels seront la principale force d’opposition au changement pendant ce siècle. Ce que j’explique dans le livre c’est que la criminalité organisée s’est au départ développée de façon phénoménale sur les frustrations et les inégalités de la mondialisation. Lorsque les ressources naturelles viendront à manquer et qu’il faudra en réguler l’accès, elles exploiteront les nouveaux marchés noirs associés et connaîtront un nouveau cycle de développement sans précédent, qui a déjà commencé. Il était urgent pour moi de tirer la sonnette d’alarme sur ce thème car peu de gens prêtent attention à ce phénomène invisible. Lorsqu’il deviendra perceptible par tous, il sera trop tard. Demandez aux Italiens et aux Mexicains.

Comment vous êtes vous intéressés à ce phénomène ?

Je l'ai toujours été. J'ai grandi à Nice pendant les guerres de casinos, une ville d'ombres et de lumières. Depuis, je me suis toujours intéressé au blanchiment de  l'argent sale, à l'envers de la société et de l'économie, aux choses invisibles. Et puis au cours des deux dernières années j'ai eu l'occasion d'observer ce phénomène à l'oeuvre de très près. Cela a dépassé tout ce que j'avais pu imaginer jusque là.

Quelle figure géométrique caractériserait pour vous le mieux ce livre ?

Le labyrinthe. Et plus particulièrement le labyrinthe de la cathédrale de Chartres. Pour parvenir en son centre, il faut suivre des successions d’arcs de cercles et de tournants qui vous renvoient sans cesse aux extrémités. C’est un pèlerinage initiatique long de 260 mètres. Ceux qui ne pouvaient pas faire le pèlerinage de Jérusalem le parcouraient à genoux. Ombres et Lumières a la même structure. Le lecteur et les héros effectuent un long pèriple plein de circonvolutions pour accéder à la révélation finale. Le labyrinthe, c’est la vie.

Mais il y a une autre structure dans le livre…

Oui, effectivement, il y a une autre structure, plus cosmique. Le tome 1 se déroule sur 14 jours et s’étend sur les deux phases décroissantes de la Lune (Pleine Lune et Dernier Quartier). Le tome 2 s’étend sur les deux phases croissantes de la Lune qui suivent (Nouvelle Lune et Premier Quartier) et se termine à la Pleine Lune. C’est un cycle, une révolution, un recommencement. Comme je voulais écrire la chronique d’une Révolution, je m’étais imposée cette structure cosmique depuis le début du projet, il y a quinze ans. Je suis un grand admirateur de Georges Perec et de l’Oulipo et pour moi les contraintes sont sources de créativité. De plus, comme les phases de la Terre et de la Lune sont opposées, cela m’a permis aussi de faire varier l’éclairage de la Terre vu par Paul Gardner. Vous verrez pourquoi. C'est le coeur du projet.

J’ai rajouté aussi une métastructure liée à la course du Soleil. Le tome 1 commence à l’automne et le tome 2 se termine au premier jour de l’hiver. L’épilogue se poursuit au printemps et à l’été. La Terre ne serait rien sans la Lune (qui lui permet d’avoir un axe stable) et le Soleil. C’est une façon de le rappeler.  

Y aura-t’il une suite ?

Oui, certainement, mais laissez-moi récupérer un peu ! Siècle bleu et Ombres et Lumières forment un diptyque, un tout. J’ai plusieurs idées pour des suites, ça commence à se mettre en place, mais je vais devoir me relancer dans un cycle de documentation significatif. Mais j’observe avant tout notre monde, afin que ces livres puissent être le plus utile possible. J'aimerais aussi essayer de donner une tournure concrète à certaines des idées exposées dans le livre. S'il y a des lectrices ou lecteurs motivés ou qui ont un projet en tête, contactez-moi !

Le mot de la fin. Si vous deviez résumer la saga Siècle bleu en quelques mots ?

L’opposition entre deux visions de l’avenir de l’humanité. Une noire et une bleue. La noire, on la connaît. La bleue, il m’a fallu quinze ans pour l’imaginer. Vive la Révolution bleue !

Merci et bon courage pour le lancement !

Propos recueillis par A. Procyon.
Crédits photos : David Blavier.