La Genèse de Siècle bleu

Depuis l'âge de dix-huit ans, je prends des notes, désordonnées, sur ce tout que je vois, sur tout ce que je vis et sur tout ce que je lis. Je me suis toujours dit qu'un jour il faudra que je les assemble car parmi elles il y a certainement des choses qui mériteraient d'être partagées, certaines d'entre elles étant peu connues ou simplement oubliées. L'idée d'écrire un livre "synthèse" commence donc à me tarauder milieu des années 90. Mais quelle forme y donner ? Roman ? Essai ? Enclyclopédie ? Conte ?

Parmi les différents thèmes qui me faisaient cogiter, l'idée du monde fini était la plus importante. Elle m'obsédait depuis que j'avais découvert un texte de Paul Valéry de 1931 qui annonçait que "Le temps du monde fini commence". Prédictions restées malheureusement sans effet. La prise de conscience du caractère fini des dimensions de notre monde était pour moi la clef de nos problèmes et devait être au coeur de ce projet de roman.

Toute la terre habitable a été de nos jours reconnue, relevée, partagée entre des nations. L’ère des terrains vagues, des territoires libres, des lieux qui ne sont à personne, donc l’ère de libre expansion, est close. Plus de roc qui ne porte un drapeau ; plus de vides sur la carte ; plus de région hors des douanes et hors des lois ; plus une tribu dont les affaires n’engendrent quelque dossier et ne dépendent, par les maléfices de l’écriture, de divers humanistes lointains dans leurs bureaux. Le temps du monde fini commence. Le recensement général des ressources, la statistique de la main-d’oeuvre, le développement des organes de relation se poursuit. Quoi de plus remarquable et de plus important que cet inventaire, cette distribution et cet enchaînement des parties du globe ? Leurs effets sont déjà immenses. Une solidarité toute nouvelle, excessive et instantanée, entre les régions et les événements est la conséquence déjà très sensible de ce grand fait. Nous devons désormais rapporter tous les phénomènes politiques à cette condition universelle récente; chacun d’eux représentant une obéissance ou une résistance aux effets de cebornage définitif et de cette dépendance de plus en plus étroite des agissements humains. Les habitudes, les ambitions, les affections contractées au cours de l’histoire antérieure ne cessent point d’exister. — mais insensiblement transportées dans un milieu de structure très différente, elles y perdent leur sens et deviennent causes d’efforts infructueux et d’erreurs.

Paul Valéry. Regards sur le monde actuel. Librairie Stock, Delamain et Boutelleau, Paris, 1931. (texte intégral téléchargeable ici)

En 1996, la lecture des Racines du Mal de Maurice G. Dantec me fascine et me démontre qu'il était maintenant possible/autorisé d'écrire un livre qui n'entre dans aucune catégorie (SF ? Essai ? Polar ? Philo ? Thriller ? Aventures ? Roman ?) et qui traite d'une multitude de sujets. Dantec avait pour moi fait exploser tous les carcans littéraires et ouvert de multiples pistes de réflexion.

Il me fallait maintenant une trame et un point de vue. En découvrant en 1996 l'ouvrage Clairs de Terre, j'avais trouvé l'angle original pour aborder mon sujet : nous vivons dans un monde fini et le regard des astronautes peut nous en faire prendre conscience (cf. la page de ce site Regards d'astronautes).

En 2000, je m'étais lancé et j'avais écrit à Chicago une série de sept textes pour la célébration du trentième Earth Day (Jour de la Terre) qui exploraient l'idée du monde fini. J'en avais publié un chaque jour jusqu'au 22 avril 2000 (date du Jour de la Terre) : vous pouvez les lire dans la sous-section Suppléments / Siècle bleu 2000 de ce site et vous découvrirez pourquoi, pour moi, la prise de conscience environnementale est si liée à l'exploration spatiale.

J'avais baptisé cette série "Siècle bleu" ("Le Siècle bleu" pour être précis) avec l'espoir que le siècle qui venait juste de démarrer serait celui de la réconciliation des Hommes entre eux et aussi des Hommes avec la Nature... C'était un galop d'essai et le retour des lecteurs fut plutôt encourageant. Cette idée a donc continué à mûrir, j'ai continué à me documenter et finalement en 2006 et 2007 je me suis mis à écrire Siècle bleu. J'ai longtemps hésité sur la forme que je voulais lui donner, entre essai et roman, et une interview de Jean-Christophe Rufin avait achevé de me convaincre à explorer la voie du roman.

« Les essais, c’est très décourageant, parce qu’on prêche des convaincus ; c’est toujours la simplification en vue d’une thèse. Un roman permet la complexité. Et puis, j’écris pour parler aux autres, et essayer d’être moins seul dans la façon de percevoir le monde » Jean-Christophe Rufin. Le Monde. Mardi 20 janvier 2004.

Le roman limite nécessairement l'approfondissement des sujets, mais un roman permet de toucher le lecteur plus profondément et peut également être un recueil de "pointeurs" inconscients qui donne envie au lecteur d'approfondir certains sujets (mon éditeur appelle celà les "fictions de savoir"). La finalité de ce site et de mon blog est précisément d'étendre le champ du roman, de donner des complèments au lecteur sur les aspects nécessairement survolés. La forme du thriller s'est également imposée car c'est celle qui maintient le plus le lecteur en haleine et donc dans un état d'attention maximum. De plus, elle est distrayante et idéale pour transmettre des idées, autrement indigestes. Autre point important : elle est également passionnante à concevoir. Rien de plus stimulant que de tromper le lecteur sur l'issue de l'intrigue, que de se mettre à sa place et d'imaginer comment celui-ci réagira à telle scène ou tel évènement.

Une fois la première version du roman terminée fin 2007, il m'a fallu deux ans pour trouver un éditeur et retravailler en profondeur le manuscrit (deux années mises à profit également pour créer et alimenter mon blog). Vu que je n'étais pas du tout de ce milieu, cette période fut très dure et j'ai bien crû que le livre ne serait jamais publié. Finalement le dénoueement est heureux car j'ai trouvé un éditeur extraordinaire et très motivé par le projet. Tout cela au sein d'une maison à taille humaine. Siècle bleu paraîtra finalement le 22 avril 2010, quarantième anniversaire du Earth Day, dix ans exactement après la série originelle. Pour la petite histoire, c'est une coïncidence totale car l'éditeur ignorait cette série de textes parue en 2000 et que le 22 avril était le Jour de la Terre...

Depuis que j'ai signé avec mon éditeur, j'ai entrepris sereinement la rédaction du deuxième tome (que je n'osais pas commencer à écrire si le premier ne sortait pas).