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McLean, Virginie, États-Unis.
Carlson n’avait pas réussi à se contenir. Prescott l’avait exaspéré avec ses grands discours et ses airs de Monsieur je-sais-tout. Cela faisait deux ans, depuis l’annonce de sa candidature aux primaires, qu’il vivait un grand oral perpétuel. Mais depuis hier, c’était terminé. Maintenant, c’était aux autres de lui rendre des comptes. C’est du moins ce qu’il pensait. Il se trompait. Il se calma et remit sa mèche en place.
Prescott sentit qu’il était allé un peu trop loin et choisit d’apaiser son interlocuteur. Il prit cette fois des pincettes.
– Non, monsieur le Président, ce n’est pas moi ni même monsieur Fox qui vous imposeront de mener à bien ce programme, ce seront les Chinois.
Carlson savait exactement ce que Prescott allait lui raconter, mais il le laissa poursuivre.
– Qu’on le veuille ou non, envoyer des astronautes sur la Lune et surtout réussir à les faire revenir est un accomplissement technologique majeur. Certes, je ne suis né qu’en 1969, mais si je ne me trompe pas, avec l’exploit d’Apollo 11, les États-Unis ont non seulement écrasé l’URSS, mais ils ont aussi montré à toute la planète qui serait le principal pourvoyeur de technologie pour les décennies à venir. Une victoire de la Chine enverrait au monde entier un message qui signifierait en substance : « Nous ne sommes plus l’usine du monde, nous maîtrisons tous les domaines des sciences et de la technologie, mieux que quiconque. Achetez nos produits, ce sont les meilleurs. » Les Jeux olympiques parfaitement organisés par les Chinois, ce n’était qu’un apéritif, un tir de sommation. Si leur mission vers la Lune est un succès, la suprématie américaine serait mise à mal, les pôles économiques se déplaceraient, voire s’inverseraient. Je n’ose affirmer que nos usines pourraient se retrouver à sous-traiter la fabrication de jouets pour les enfants chinois, mais ce n’est pas exclu.
Comme tous les Américains, Carlson imaginait mal ses enfants travaillant dans des usines américaines pour le compte des marmots de Shanghai, Pékin, Hong Kong ou l’une de ces Chongqing, Tianjin ou autre Shenyang, villes gigantesques dont les noms, qui n’évoquaient rien aux Occidentaux – pas un bâtiment, pas un point d’histoire – étaient en plus impossibles à retenir.
– Vous comprenez donc bien que ce serait une erreur stratégique majeure que de leur laisser le champ libre, en se retirant de la course, conclut Prescott.
Carlson ne comprenait pas où ses interlocuteurs voulaient en venir. En effet, la lutte entre les États-Unis et la Chine pour retourner vers la Lune n’était pas nouvelle et il ne lui semblait pas que l’enjeu était si important. Fox et Prescott lui cachaient quelque chose et il était bien décidé à savoir ce qu’ils voulaient vraiment. Afin de les exaspérer et les pousser à dévoiler leur jeu, il formula une nouvelle proposition.
– Plutôt que de s’acharner à gagner cette course, ne pourrait-on pas contourner le problème en essayant de s’associer à la Chine dans le cadre d’un programme lunaire international ?
Prescott soupira et s’arma de patience pour répondre au futur président des États-Unis.
– C’est ce que votre prédécesseur a essayé de faire en envoyant l’administrateur de la NASA en Chine. C’était il y a deux ans. Les échanges semblaient prometteurs mais, sans affirmer qu’il y ait un lien de cause à effet, quelques mois plus tard, nous n’avions jamais été aussi proches d’un conflit spatial majeur avec la Chine ! Les Chinois ont détruit un de leurs satellites météorologiques, nous signifiant ainsi indirectement que tous nos satellites commerciaux et militaires étaient des cibles potentielles. En février de cette année, c’est nous qui avons détruit un satellite espion américain, prétendument défectueux, pour leur montrer que nous en étions aussi capables. L’espace est devenu trop important et les Chinois veulent en maîtriser seuls l’accès.
Prescott avait réponse à tout. Carlson sortit son dernier joker.
– Messieurs, je suis désolé, mais tout cela ne me convient absolument pas.
Le visage de Fox vira au rubicond.
– Arrêtez de jouer au con, s’emporta le vieil homme. Vous allez faire exactement ce que l’on vous demande.
– Alors, arrêtez, vous aussi, de me prendre pour un con et dites-moi exactement pourquoi vous voulez que les Américains retournent sur la Lune.
– L’hélium 3, lâcha Fox.
– Voilà une raison qui me paraît plus compréhensible… admit Carlson.
Il demeura pensif puis s’excusa auprès de ses hôtes. Il essaya d’appeler son assistante. La communication ne passait pas. Fox lui précisa que sa bibliothèque était équipée d’un système de brouillage militaire qui rendait impossible toute écoute, mais aussi toute communication avec l’extérieur. Carlson sortit de la pièce et indiqua à Shirley, son assistante, qu’il serait en retard pour ses prochains rendez-vous.
– Nous en étions donc à l’hélium 3, fit-il à Prescott en revenant. Je croyais que la technologie des centrales nucléaires à fusion utilisant l’hélium 3 n’était pas mature.
Prescott fut surpris qu’il en sache autant.
– Effectivement, mais elle le deviendra certainement. Les Chinois ont récemment démarré des recherches dans ce domaine et selon nos sources, ils ont déjà accompli des progrès notables.
Carlson n’avait pas besoin que Prescott lui fasse un dessin. Il savait à quel point les Américains avaient tiré profit d’être parmi les premiers à passer des accords avec les Saoudiens au début du XXe siècle. Si Prescott disait vrai, il ne fallait pas se laisser devancer par les Chinois. Les États-Unis devaient développer l’exploitation minière de l’hélium 3 sur la Lune en premier.
Il n’avait donc pas le choix et il devait se lancer sans attendre dans la course à la Lune.
Le conglomérat CorFox, qui contrôlait de nombreuses mines de métaux sur Terre, l’avait lui aussi très bien compris. Carlson fit tourner le globe lunaire que Fox lui avait offert. Voilà qu’après la mondialisation, on allait inventer l’ « universalisation », songea-t-il. Le jeu de billard planétaire devenait galactique.
– Merci, Prescott, pour cet exposé, concéda Carlson en bon sportif. J’espère que je serai aussi éloquent que vous pour défendre le programme Constellation devant le Congrès et les citoyens américains.
Il pensa en avoir fini avec eux et pouvoir maintenant retourner à Washington. Mais Cornelius Fox le regardait avec un air qui indiquait qu’il faudrait encore patienter un peu. D’ailleurs, après la belle prestation de Prescott, il jugea qu’il était temps pour lui d’entrer en scène.
– Cher Carlson, sans vouloir vous décourager, les convaincre sera peut-être la chose la plus facile à faire pour vous. Après tout, on estime que le coût du programme devrait seulement avoisiner 120 milliards de dollars. Pas de quoi faire plonger encore davantage l’économie, même si on observe des dérives, habituelles dans ce genre de programmes.
Ce budget n’était effectivement rien en comparaison de celui englouti par son prédécesseur dans la guerre au Moyen-Orient. Convaincre les Américains serait donc probablement aisé. Mais Fox avait insinué qu’il y aurait autre chose de plus difficile. Cette nouvelle énigme n’enchantait guère le président élu.
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