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McLean, Virginie, États-Unis.

 Carlson fut surpris par le présent de Fox : un globe lunaire.
 – Merci pour cette délicate attention, rétorqua-t-il ironiquement à son hôte. Grâce à votre soutien, je vais maintenant pouvoir décrocher la Lune !
 La désinvolture de Carlson avait toujours agacé Fox. Elle lui donnait parfois l’impression qu’il ne le contrôlait pas totalement. Mais c’était juste une apparence défensive. Au fond de lui, il savait qu’il n’était qu’un pion dans la grande partie de Monopoly que livraient Fox et ses amis avec le reste du monde. Cette situation lui convenait d’ailleurs assez bien : ils avaient certes exploité son ambition dévorante et sa corruptibilité, mais ils l’avaient emmené jusqu’à la plus haute marche.
 – Très perspicace comme toujours, Carlson. Vous n’êtes en effet pas si loin de la vérité.
 Le président fraîchement élu n’aimait pas les énigmes et montra son impatience. Il attendait la suite.
 – Décrocher la Lune sera la grande priorité de votre mandat, continua Fox. Vous allez y renvoyer des Américains.
 Carlson ne parvint pas à dissimuler son étonnement. Quand John Kennedy s’était lancé ce défi en 1961, c’était original. Au troisième millénaire, cela lui paraissait complètement désuet. D’ailleurs le président sortant s’y était cassé les dents.
 – Et vous allez y parvenir avant les Chinois, poursuivit le milliardaire.
 Voilà qui est plus concret, pensa Carlson. Il était au courant de l’ambition spatiale chinoise, mais il mesurait encore mal l’importance de la chose. Il resta sur ses gardes.
 Cornelius Fox invita alors Mike Prescott, resté jusque-là silencieux, à prendre la parole.
 – Monsieur le Gouverneur, puis-je me permettre de vous faire un bref topo sur le programme lunaire chinois ? demanda Prescott sur un ton faussement courtois.
 Afin de marquer son territoire, et pour lui rappeler qu’il n’était encore rien, Prescott, fin stratège doublé d’un redoutable tacticien, avait choisi de continuer à s’adresser à lui sous son titre actuel, celui de gouverneur du Tennessee. S’il avait pu le mordre, Carlson l’aurait fait. Prescott lui tendit un mémo résumant les étapes du programme lunaire chinois. Carlson se força et finit par le prendre.



 – Si je me rappelle bien, taïkonaute signifie « homme du grand vide » en chinois, murmura Carlson pour marquer son territoire.
 – Tout à fait. Chaque pays a son appellation. En Russie, ils les appellent cosmonautes et, en France, spationautes.
 Carlson reprit sa lecture. Quand il eut terminé, il leva la tête vers Prescott pour écouter ce que celui-ci avait à lui dire.
 – Comme vous le voyez, d’après ce programme, les Chinois ont déjà franchi plusieurs étapes capitales. D’ici quelques années, ils seront techniquement prêts à envoyer leurs taïkonautes vers la Lune.
 – Quelques années ? Vous dramatisez un peu la situation ! Si je lis bien, cela nous laisse encore seize ans. Les Américains seront déjà sur Mars d’ici là !
Prescott jeta un coup d’œil à Cornelius Fox qui lui adressa un hochement de tête approbateur, l’autorisant à continuer.
 – Ces dates ont été reconstituées à partir de leurs déclarations officielles. Les Chinois laissent toujours planer un certain flou quant aux échéances exactes de leur programme.
 Cette discrétion dans les affaires militaires et commer-ciales faisait partie de la stratégie dite des « 24 caractères », élaborée par Deng Xiaoping : observer calmement, sécuriser notre position, s’occuper des affaires calmement, dissimuler nos capacités et attendre notre temps ; maintenir un profil bas et ne jamais s’octroyer le pouvoir. Carlson continuait à écouter avec attention.
 – Selon nos informateurs, reprit Prescott, de hauts responsables du régime de Pékin ont avancé des dates beaucoup plus ambitieuses en privé. Les Chinois auraient la capacité technique d’être prêts bien plus tôt et disposent des moyens financiers pour y parvenir ; l’essentiel pour eux étant d’arriver avant les Américains.
 – Bien plus tôt, c’est quoi pour vous ?
 Prescott marqua un temps d’arrêt.
 – Ils pourraient être prêts d’ici cinq ans, lâcha-t-il enfin.
 Carlson reçut ce chiffre comme un coup de poing en plein visage. Une fois ses esprits retrouvés, sa première pensée fut que, dans cinq ans, son mandat serait achevé. Mais il n’avait pas fait tout ce chemin pour ne rester au pouvoir que quatre ans et avait bien lui aussi l’intention de briguer un second mandat. Il ne pourrait donc pas transmettre la patate chaude à son successeur. À moins qu’il ne parvienne à trouver une alternative au plan que Fox et Prescott avaient choisi pour lui et cela s’annonçait difficile, vu leur détermination.

 
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