La Révolution bleue est en marche
Un nouvel imaginaire pour changer les comportements

Jean-Pierre Goux - 22 avril 2014 - Jour de la Terre

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L’imaginaire, moteur de l’humanité

L’imaginaire et les rêves ont toujours été le moteur du phénomène humain. Grâce à eux, l’homme a su s’adapter, se transformer, se transcender pour devenir la créature qu’il est aujourd’hui.

Animé par l’imaginaire de ne se plus se faire dévorer par les autres créatures, l’homme s’est redressé sur ses pattes arrière, a maîtrisé le feu et perfectionné ses techniques de chasse pour se débarrasser de ses prédateurs.

Animé par l’imaginaire de ne plus dépendre des aléas naturels pour se nourrir, il a domestiqué la nature pour introduire l’élevage et l’agriculture, piliers des grandes civilisations.

Animé par l’imaginaire de ne plus être limité par le flux d’énergie solaire qui nous irrigue, de ne plus dépendre de la force de ses propres muscles, et de ceux des esclaves et bêtes qu’il exploitait, l’homme a extrait et exploité les énergies fossiles du sous-sol.

Animé par l’imaginaire d’explorer les contrées éloignées de son lieu de naissance et de vie, l’homme a conçu des machines toujours plus perfectionnées qui l’ont conduit au fond de la fosse des Mariannes et même jusqu’à la Lune qui le narguait depuis la nuit des temps.

Un imaginaire collectif en panne

Notre imaginaire de primate supérieur à la curiosité insatiable nous a conduit très loin, mais il y a un paramètre qu’il n’a pas pris en compte: les dimensions finies de notre planète. Nous nous comportons toujours comme il y a deux millions d’années lorsque nous n’étions que quelques milliers de tribus.

Notre imaginaire a aussi échoué à accomplir l’essentiel : nous rendre heureux.

En s’attaquant à une multitude de problèmes locaux, l’homme a accouché en les résolvant d’une misère sans précédent et de problèmes globaux que notre intellect et nos sens ne peuvent percevoir et qui menacent aujourd’hui de nous détruire.

Face à ces problèmes d’un genre nouveau, la réponse a été d’abord l’écologie militante dont l’on pourrait dater l’émergence à la publication du Printemps silencieux de Rachel Carlson en 1962. Ce mouvement a été complété à partir de 1972 par l’essor de l’écologie politique sur la scène internationale née probablement avec le rapport Meadows mais aussi le rapport de René Dubos et Barbara Ward Only one earth préparé pour la première conférence des Nations Unies sur l’environnement humain à Stockholm.

Ce rapport, pièce capitale dans l’émergence de l’écologie globale et de la conscience planétaire, a lancé la vague des sommets de la Terre qui ont, chaque décennie depuis 40 ans, ponctué l’histoire de l’humanité. Afin d’alerter les populations et surtout les décideurs et les chefs d’Etat, l’imaginaire projeté par les écologistes a été celui des grands cataclysmes à éviter. Cette mécanique de la peur a fonctionné, la prise de conscience a considérablement augmenté à tous les échelons de la population et en 1992 près de 200 chefs d’Etat et de gouvernement se sont réunis au chevet de la planète à Rio.

Pour les populations du globe, paralysées par l’ampleur des problèmes décrits et par le futur dramatique qui nous attendait, tous les espoirs reposaient sur l’efficacité de ce processus onusien. Enlisé peu à peu par le jeu multilatéral des Etats, le court-termisme et les lobbys, un signal d’alerte a été lancé en 2002 au sommet de Johannesburg et un cri d’alarme a été poussé en 2012 à Rio+20. Le processus est aujourd’hui complètement en panne. Certains espèrent encore un miracle lors de la conférence COP21 organisée à Paris en 2015 qui tentera de réenclencher une dynamique sur la (seule) question des émissions de CO2, en suspens depuis l’échec du sommet de Copenhague en décembre 2009. 

Devant cette situation dramatique, l’imaginaire collectif véhiculé par les grands décideurs politiques est vide. Les citoyens du monde sont aujourd’hui abandonnés avec leurs peurs et les plus vertueux d’entre eux poursuivent rituellement leurs écogestes, ultimes remparts pour conspuer le mauvais sort. Après la prise de conscience, l’effroi, le déni et l’impuissance ont donc pris le relais. Les leaders de ce monde en panne d’idées, nous parlent maintenant d’adaptation à des changements désormais inéluctables.

Peut-on sincèrement baisser les bras et renoncer à agir sur notre futur ? Est-ce digne des milliers de générations qui nous ont précédé et dont nous sommes les survivants ? Est-ce digne des générations futures ? Non.

Dépasser l’échec par l’émergence d’une vision nouvelle

Je sais que cela va vous surprendre mais je suis persuadé que cet échec est une chance. Les solutions qui ont été proposées jusqu’à maintenant étaient coûteuses, difficiles à mettre en oeuvre et ne changeaient qu’à la marge le système du monde ancien. Pendant 40 ans, on a délégué la résolution des problèmes globaux à ceux qui les ont causés. Il était illusoire de penser qu’ils scieraient la branche sur laquelle ils étaient assis.

Si l’on prend un pas de recul, face aux problèmes majeurs qui nous défient, la seule chose que nos dirigeants ont su proposer ce sont des plans : plan climat, Protocole de Kyoto, Plan chômage, plan de relance… On ne les compte plus et leurs effets ont tous été décevants. Ils n’ont fait qu’alimenter ou maintenir en vie un système à l’agonie. On ne change pas le monde avec des plans. On change le monde avec une vision, une vision qui pousse les hommes à changer, à rêver et à se mettre en action. Il faut s’appuyer sur la créativité humaine.

Une partie des mouvements écologistes a pourtant peur de cette créativité, peur qu’elle engendre un nouveau « progrès » dont les effets de bord seraient encore pire que ce nous voyons actuellement. Les « décroissants » n’ont d’une certaine façon pas tort : le veau d’or du PIB doit être démonté et il faut un modèle d’organisation de la société vraiment économe en ressources.

En revanche, les plus extrêmes d’entre eux font fausse route : on ne peut pas renoncer au progrès, au sens noble du terme. Il n’y aura pas de futur durable pour une humanité de 7 milliards d’individus si l’on revient à l’âge de pierre. Il faut aimer l’homme, et faire confiance en son extraordinaire capacité d’invention, d’imagination, qui a aussi produit des choses merveilleuses. Un futur sans progrès signerait l’arrêt du phénomène humain et probablement sa disparition. À nous d’inventer un progrès vertueux, c’est-à-dire une dynamique créatrice tendant vers un mieux véritable du point de vue de la nature et l’homme, en évitant l’écueil inverse d’un optimisme technologique aveugle. Les solutions du futur passeront avant tout par les valeurs, la spiritualité et les comportements.

La révolution est déjà en marche

Tout cela n’est pas qu’un vœu pieu et j’ai une très bonne nouvelle pour vous : au moment où partout l’espoir faiblit, des millions d’hommes et de femmes ont déjà cessé d’attendre que les politiques et les industriels s’entendent pour nous proposer un futur. Ils se sont mis au travail et inventent des solutions au niveau local pour reprendre le contrôle de leur vie et de celles de leurs enfants. Et ça marche, les comportements changent, parfois à très grande échelle. Partout à travers le monde, chaque jour de nouveaux embryons de solutions se forment et nous assistons aujourd’hui au plus impressionnant mouvement d’innovations sociales et technologiques que l’humanité ait connu.

Mères de familles, agriculteurs, ingénieurs, adolescents rêveurs, bricoleurs du dimanche, inventeurs de génie, créateurs d’associations et d’ONG, élus, entrepreneurs, mais surtout simples citoyens, ils se mobilisent pour réinventer le monde et bâtir un autre futur. C’est au pied du mur, que l’humanité a toujours été la plus créative.


Pour l’instant, ce mouvement qui ne porte aucun nom et qui ne répond à aucun leader, est encore relativement silencieux. Les concepts qu’il a enfantés restent majoritairement inconnus des décideurs et du grand public. Pourtant certains ont déjà un poids considérable. S’ils se répandaient davantage, ils auraient le pouvoir de révolutionner notre organisation sociale et économique, qui a tant détruit l’homme et la nature. Il faut donc tout faire pour les transmettre, les rendre intelligibles et reproductibles, raconter les histoires de ces nouveaux héros ordinaires, pour donner à tous l’envie de croire en un futur meilleur, s’engager vers ces nouveaux paradigmes et en inventer d’autres. (C’est l’objet du nouveau livre que je suis en train d’écrire, mais chut… je ne vous ai rien dit :-).

Derrière chacun de ces projets ou de ces initiatives, il y a un rêveur, une rêveuse, un « croyant » dans un futur meilleur et différent. Des hommes et des femmes qui ont décidé d’entrer en résistance pas seulement en s’indignant mais en se retroussant les manches. C’est par la multiplication de ces initiatives et leur mise en réseau que les problèmes globaux seront résolus.

Cet élan fondamentalement transdisciplinaire s’appuie sur des idées de bon sens, qui placent l’humain et la nature au cœur du système, qui mêlent l’économie sociale et solidaire, le retour à certaines traditions ancestrales oubliées au meilleur de la technologie. Prenez BlaBlaCar, où en serait le covoiturage sans Internet et les smartphones ? Quelles seraient les réponses aux problèmes de l’eau et de l’énergie, si nous n’avions pas sous la main de nouveaux matériaux comme les fullerènes, le graphène, le stanène ou le carbyne dont nous ne commençons à peine à entrevoir les propriétés ahurissantes ?

Ces innovations seront-elles suffisantes pour changer le paradigme dominant et résoudre les immenses crises du XXIème siècle ? Nul ne peut l’affirmer. Aujourd’hui elles n’ont pas encore enrayé la destruction de la biosphère et des hommes, mais tout laisse à croire que leur essor peut-être phénoménal. Une révolution pacifique est en route, là, sous nos yeux, et presque personne ne nous en parle. Le grand enjeu est d’étendre ce phénomène au-delà du cercle habituel de convaincus. Aujourd’hui il faut diffuser et encourager le développement de ce phénomène par tous les moyens. La plupart des concepts dont nous avons encore besoin restent à inventer.

L’aspect viral de ces innovations sociales et techniques disruptives est pourtant souvent immédiat : leur logique tombe sous le sens et elles trouvent vite écho dans des populations qui aspirent à un autre mode de vie. Aujourd’hui 5 millions de personnes dans le monde utilisent le réseau couchsurfing.org et sont hébergées gratuitement en voyage. Dans le monde, le mouvement bio et biodynamie en viticulture connaît une croissance sans précédent : ils sont désormais 8% des viticulteurs en France. La Chine va lancer une expérimentation sur l’économie circulaire dans plus de 100 villes. 5 millions d’internautes du monde entier sont inscrits au site coursera.org (massive open online courses ou MOOC) et suivent des cours gratuits du meilleur niveau. Le coût de fabrication des panneaux photovoltaïques a déjà baissé de 80% en 5 ans et des progrès significatifs sont attendus dans le domaine du stockage d’énergie. Des adolescents et de jeunes adultes mettent au point dans les Fablabs de nouveaux objets à l'aide de hardware open source qui vont révolutionner par exemple la médecine, pour une fraction du coût.

Ce ne sont que quelques exemples parmi des milliers d’autres, mais croyez-moi, les solutions commencent à exister. Pour l’instant il s’agit d’un frémissement, mais la révolution est bien en marche. Il faut passer d’un imaginaire écologique fondé sur la peur et la culpabilisation à une écologie de la beauté, du rêve et de la créativité qui accompagne ce mouvement.

Le système centralisé résistera violemment à ces évolutions, l’écologie devra donc certainement continuer à se battre pour dénoncer les dérives, mais cette lutte sera au service d’un rêve clair et non plus constituer une finalité.

Le rôle du récit et du romancier dans cette révolution

Pour que cette transformation, cette métamorphose, cette mutation, appelons-là comme on veut, s’opère vraiment, il y aura besoin des idées et des rêves de tous. La création d’œuvres de fiction qu’elles soient romanesques, cinématographiques ou musicales peuvent jouer un rôle d’accélérateur, de catalyseur de ce phénomène.

En effet, il manque au monde (et aux dirigeants ?) un récit de la métamorphose et du monde d’après, afin que les actions individuelles s’inscrivent dans une vision générale cohérente et compréhensible par tous. Ce récit doit être exaltant et d'une incroyable solidité car les forces qui tenteront de nous détourner de l'objectif seront prodigieuses. Ce récit devra proposer un cadre simple, une épure, mais ne devra pas constituer un plan qui briderait la créativité alors que l’on a besoin précisément d’aller dans des zones impensées. Même si le chemin emprunté n'est pas celui-là, on a besoin de croire que c'est possible.

Jusqu’à des temps récents, les peuples se sont laissé guider par les histoires et les rêves racontés par les Anciens ou les prophètes. C’est comme cela que les sociétés humaines ont évolué et surtout comme cela qu’elles ont survécu. On ne retrouve pas cette ferveur et ce pouvoir narratifs dans les déclarations des politiques peu convaincus de l'intérêt (autre qu'électoral) du changement ni dans les processus onusiens, machines à laminer tout enthousiasme. L’humanité a certainement besoin d’un grand électrochoc pour ouvrir les yeux, mais surtout elle a besoin d’un grand rêve, positif et enthousiasmant, qui lui donne la force et la joie de métamorphoser son organisation pendant ce siècle décisif. Chacun pourrait contribuer à la concrétisation de ce récit et de ce rêve, par des actions locales ou globales, qui créent de la beauté et redonnent du sens à nos vies.

C’est ce que j’ai essayé de faire à mon humble mesure dans mon travail de romancier. Il y a plus de quinze ans, j’ai recherché ce que pourrait être cette vision qui mettrait les individus au diapason et libérerait leur force créatrice. La fiction a le pouvoir de créer des mondes, des utopies. Elle offre également la possibilité de simuler ces utopies et de les confronter au monde réel. Nous n’avons plus le temps de produire des utopies fragiles.

Pour moi, ce nouvel imaginaire devait être avant tout un imaginaire de créativité mais aussi de beauté. Il fallait remettre la beauté au cœur du projet humain qui a produit tant de laideur. Après le sourire d’un enfant, la vision la plus belle que j’avais à partager était celle de la Terre vue depuis l’espace.

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Mon personnage principal, Paul Gardner est donc un astronaute, bloqué sur la Lune à cause d’un imbroglio géopolitique que les hommes cherchent à secourir. Fasciné et transformé par la beauté de la Terre, il va chaque jour prononcer des mots qui vont changer le visage du monde et en 28 jours (la durée des deux tomes) il va déclencher une révolution pacifique, la Révolution bleue, sans le savoir, car il est capable d’émettre mais pas de recevoir. Paul Gardner n’est pas un gourou, c’est un rêveur.

Le rêve d’un Siècle bleu

Dans ses discours, il introduit le concept de Siècle bleu (le titre de la saga), nom qu’il donne à notre époque et dont les générations futures, si nous leur permettons d’être encore là pour témoigner, se rappelleront comme le plus important de l’histoire de l’humanité. De la même manière que l’on se réfère aujourd'hui au siècle des lumières.

Ce concept aurait peut-être le pouvoir de faire changer notre rapport au temps. Nous ne vivrions alors plus dans le siècle le plus sombre, mais dans celui où tout est possible, où il y a tout à réinventer comme Paul Gardner le dit dans son Manifeste pour un Siècle bleu. Si chaque matin, nous nous réveillions en étant conscient de la chance que nous avons de pouvoir contribuer à ce grand projet commun, tout le monde aurait l’impression de participer à quelque chose qui nous transcende, quelque chose d’important et de fondamental. Alors une incroyable énergie s’emparerait de nous et aucun problème ne nous résisterait. C’est en tout cas ma conviction.

Vive la Révolution bleue !

Je suis certain que ce siècle, si noir, pourrait devenir bleu.
Il suffit de peu de choses, juste que nous le voulions ensemble.
Cet effort doit s’inscrire dans la durée.
Un siècle par exemple.
Le temps nécessaire pour bâtir une cathédrale.
L’humanité doit inscrire son action dans un temps qui la dépasse.
C’est ça : rêvons d’un Siècle bleu.
Celui de la réconciliation entre les Hommes, la Terre et le Cosmos.
Celui qui permettra à nos enfants de continuer à vivre normalement.
Celui dont les générations futures pourront être fières.
Pensons à leur joie si nous réussissons.
Et à notre honte si nous échouons.
Nous pouvons réussir.

www.sieclebleu.org

Amitiés bleues,

Jean-Pierre Goux.

Paris. 22 avril 2014.

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