Jean-Pierre Goux : l'interview Siècle bleu

Jean-Pierre Goux, qui êtes-vous ?

Un Terrien né en 1973 à Nice. Siècle bleu est mon premier roman. Si vous voulez en savoir plus sur moi, c'est ici.

Pouvez-vous nous raconter en quelques lignes l’histoire de Siècle bleu ?

Siècle bleu est un thriller écologique. Abel, le leader de l’organisation clandestine écologiste Gaïa, veut changer le monde. Il déclenche une série d’actions de grande ampleur, mais son plan est arrêté par les Etats-Unis qui le désignent comme bouc émissaire pour se sortir d’un imbroglio avec la Chine. Devenu l’ennemi public numéro 1, il n’a pas d’autres choix que de découvrir la vérité. Pour y parvenir, il effectuera un voyage initiatique avec sa femme Lucy, à travers l’Ouest américain avec à la clef un grand secret. Vous pouvez lire les dix premiers chapitres sur le site ici.

Que signifie ce titre, Siècle bleu ?

Siècle bleu est une chronique de notre siècle. Ou plutôt de ce que j’aimerais qu’il devienne ! C’est donc une utopie. C’était au départ une série de sept petits textes que j’avais préparés pour le Jour de le Terre du 22 avril 2000, dix ans jour pour jour avant la sortie de Siècle bleu. J’étais alors plein d’espoir et d’illusions. Avec l’élection de Bush et les attentats du 11 septembre, le XXIème a finalement très mal commencé. L’humanité s’est laissé entraîner dans une direction qui n’est pas la bonne. Il faut impérativement changer le modèle dominant. Pour y parvenir, on doit avoir à l'esprit ce qu’avait très bien dit Einstein : « aucun problème ne peut être résolu sans changer l'état d'esprit qui l'a engendré. » Si l’on remonte à la source du problème, l’humanité n’a pas encore assimilé qu’elle vivait dans un monde aux dimensions et aux ressources finies. Une grande partie de nos dérèglements actuels découlent de cette illusion qui dicte notre comportement depuis des millions d’années. Les valeurs, les solutions technologiques, les concepts philosophiques et économiques pour s’en affranchir existent, mais ne résistent pas (encore) à l’ultralibéralisme, à l’ultracupidité et au manque de courage ambiant. Pour s’en sortir et unir les initiatives isolées, il faudra probablement un électrochoc, pour que l’on puisse intégrer cet effet de bord, longtemps imperceptible, et resituer l’homme dans une position humble au sein du cosmos sur son petit vaisseau Terre. Ce sera très long et l’effort pour accompagner et accomplir cette mutation, cette métamorphose, durera probablement un siècle. Siècle bleu essaye de raconter tout cela.

Siècle bleu sort le 22 avril 2010. Quelle est la symbolique de cette date ?

Il y en a une et c’est une double coïncidence. C’est notre distributeur, Interforum, qui a choisi par hasard cette date qui correspond à la fois aux dix ans d’écriture et de recherche de Siècle bleu mais surtout au quarantième anniversaire du Earth Day. Le Earth Day a été créé en 1970 aux Etats-Unis, en plein cœur du mouvement contestataire qui mobilisait les campus universitaires. Il marque le début du mouvement écologiste moderne. Le sénateur Gaylord Nelson, qui en est à l’origine, voulait par cette journée de mobilisation faire prendre conscience aux politiques de la nécessité de protéger l’environnement. 40 ans plus tard, ce mouvement porteur d’espoir connaît toujours un grand succès, mais on est encore loin de la prise de conscience écologique globale que Nelson recherchait. A son humble niveau, Siècle bleu essaye de participer à ce processus d'éveil.

Que pouvez-vous nous dire sur la couverture ?

Cette couverture est l’œuvre de l’agence Nuit de Chine. C’est l’éditeur qui les a briefés. Quand je l’ai vue, j’ai tout de suite trouvé qu’elle illustrait parfaitement le propos du livre, bien résumé par cette phrase d’Albert Camus « La vie donne à chaque homme deux armes : la révolte et l’espoir. » Le noir évoque les forces oppressantes qui pèsent sur l’homme et le froid lugubre du cosmos qui nous entoure. L’arc bleu de l’atmosphère et le soleil qui pointe derrière évoquent la vie, l’espoir, l’aube de métamorphose.

Doit-on y voir une référence à 2001 de Kubrick ?

Peut-être et c’est d’ailleurs très bien. 2001 est un film extraordinaire, porteur en son temps (1968) d’un vrai projet pour l’humanité. En plein programme Apollo tout semblait envisageable. Mais l’élan spatial s’est arrêté peu après, en 1972. 2001 a au contraire été marqué par les évènements que l’on sait. Mais j’ai bon espoir que l’on reprenne bientôt la route de Jupiter.

La conquête spatiale semble vous avoir beaucoup inspiré ?

Plus que l’épopée technique, ce sont avant tout les dimensions humaines, poétiques et biologiques de la conquête spatiale qui m’intéressent. C’est un élan admirable inscrit au coeur de nos gènes, au centre du projet humain. Les astronautes étaient supposés en être les opérateurs silencieux et dociles, mais, contre toute attente, nombreux d’entre eux ont connu une véritable expérience mystique en orbite et sont revenus humanistes et écologistes convaincus. J’ai rencontré et écouté de nombreux astronautes et j’ai beaucoup analysé cette transformation provoquée par le cumul de l’apesanteur, la peur et l’exposition prolongée à la beauté de la Terre. Peu de gens en parlent ou les questionnent là-dessus, mais les astronautes sont réellement des poètes extraordinaires qui ont acquis une vision unique sur notre planète. Les photos qu'ils ont ramenées pendant l'ère Apollo ont changé le monde et ont été des catalyseurs du mouvement écologiste. J’ai essayé d’expliquer cela en détails sur une page de mon site. C’est aussi la raison pour laquelle l’un des personnages principaux de Siècle bleu, Paul Gardner, est un astronaute. Je ne vous en dis pas plus pour ne rien dévoiler de l’intrigue.

Vous êtes également très concerné par la protection de l'environnement ?

Depuis le sommet de la Terre de Rio de 1992, et même un peu avant à travers l'expérience de Biosphere 2, je me suis intéressé à la défense de l'environnement. Au cours des dix dernières années, j'ai lu une multitude de livres sur le sujet pour essayer de comprendre la racine du problème et les voies pour s'en sortir. Il faudra attendre la fin du tome 2 pour développer toutes ces voies, dont la principale est assez iconoclaste... Je suis également fasciné par celles et ceux qui passent leur vie à courageusement défendre la planète. Siècle bleu est une sorte d'hommage à leur égard. Je développe ça un peu plus ici.

Pourquoi cette fascination du bleu ?

Je me le suis aussi demandé aussi. Ça remonte à mon plus jeune âge et c’est certainement à cause de la couleur du ciel de Nice sous lequel j’ai grandi. Plus tard les monochromes bleus d’Yves Klein – peintre originaire de Nice – et les clichés de l’atmosphère pris par les astronautes m’ont profondément marqués et inspiré le livre.

Quelles sont vos références littéraires ?

Je lis des choses assez différentes, des romans évidemment mais surtout beaucoup d’essais. L’auteur qui m’a le plus influencé est sans aucun doute Saint-Exupéry. Sa pensée est très profonde et d’une actualité criante. Terre des Hommes, Le Petit Prince et Citadelle sont des œuvres majeures dans lesquelles je découvre toujours de nouvelles clés. Depuis son avion, il avait compris ce qu’était l’Homme et comment il devait s’accomplir. Peu avant sa mort tragique, il était très triste car il voyait l’humanité s’écarter de la bonne voie. J’aime sa tristesse lucide. J’ai été également très marqué par l’œuvre de Joseph Kessel. Avec le récit de ses aventures et de ses rencontres extraordinaires, il a dressé un panorama unique de la grandeur et de la folie des hommes. La vie de Kessel est elle-même extraordinaire. Sa biographie Sur la piste du Lion signée par Yves Courrière est l’un de mes livres favoris. Il avait une passion de la vie et une foi en l’homme que je trouve admirable. Enfin, j’ai une grande estime pour René Barjavel. Il a écrit des livres de genres très différents, ce qui est rare, et pour la plupart exceptionnels. Tout le monde a lu La Nuit des Temps, Le Grand Secret ou Ravage, mais Barjavel a aussi écrit des choses moins connues et encore plus intéressantes comme La Faim du Tigre ou Lettre ouverte aux vivants qui veulent le rester. C’est un vrai visionnaire. Dans les auteurs plus contemporains, il y également de très bonnes choses. Bernard Tirtiaux, Jean-Michel Truong, Tonino Benacquista, ou Stéphane Audeguy pour ne citer que quelques-uns.

Quel est votre polar préféré ?

Sans aucun doute, Le Souffle au coeur d'AW Rosto, découvert l'an dernier. Tout est parfait dans ce roman d'un auteur français qui écrit sous un pseudonyme. C'est l'histoire d'un homme seul, ultra entraîné, qui en 300 pages fait effondrer une banque prestigieuse qui blanchit l'argent de la mafia. L'auteur maintient une tension constante de la première à la dernière ligne. C'est une flèche tirée d'un arc et qui dynamite sa cible. La conception de l'intrigue est prodigieuse et les détails sont décrits avec une précision chirurgicale. Je rêverais de rencontrer l'auteur.

Que lisez vous en ce moment ?

Pour me mettre dans le bain pour le tome 2, je lis en ce moment La Stratégie du choc de Naomi Klein et Underworld USA de James Ellroy... Tout un programme...

Comment avez-vous rencontré votre éditeur ?

Beaucoup de gens me le demandent ! Je l'ai rencontré par une heureuse série de coïncidences, comme beaucoup de choses très curieuses qui me sont arrivées dans la vie. C’est d’ailleurs l’une des questions qui m’obsèdent et que je traiterai dans le tome 2 de Siècle bleu. Concrètement je suis tombé un jour par hasard sur un roman, Le Rêve de White Spring, dont l’action s’inspirait de l’expérience de Biosphere 2 en Arizona qui occupe une place centrale dans Siècle bleu. Sur la quatrième de couverture, il était indiqué que l’auteur, Michèle Decoust, avait travaillé sur le projet. Intrigué, je l’ai contactée pour l’interviewer et nous avons sympathisé. Un jour, voyant les difficultés que j’avais à trouver un éditeur (je ne suis pas du tout de ce milieu), elle a lu le livre et l’a passé à Jacques Binsztok, l’éditeur du Rêve de White Spring qui avait quitté les Editions du Seuil pour monter sa propre maison. Le courant avec lui est tout de suite passé. Donc si vous avez fini un manuscrit et que vous ne trouvez pas d'éditeur, ne désespérez pas, soyez tenace, essayez de provoquez les rencontres en utilisant tous les contacts que vous pouvez avoir, même les plus indirects. Et continuez à écrire en attendant. Pendant les deux ans de recherche d'éditeurs, je me suis astreint à régulièrement poster des articles sur mon blog. Du coup, c'est pas mal car les lecteurs y trouveront des tas de complètements aux propos du livre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur Biosphere 2 ?

Biosphere 2 est un laboratoire privé construit en plein cœur du désert d’Arizona à la fin des années 1980. Sous ses serres étanches, on trouve différents écosystèmes interconnectés (désert, océan, forêt tropicale, marais, savane, zone d’agriculture intensive…) sensés pouvoir subvenir à l’ensemble des besoins de huit humains. Cette serre devait permettre de mieux comprendre l’interaction entre l’être humain et les écosystèmes terrestres, mais surtout à préparer l’implantation de colons humains sur la Lune et Mars. C’est une expérience unique qui a malheureusement échoué. Il m’a fallu 20 ans de recherches et de rencontres pour en comprendre les causes exactes. Je me suis rendu à Biosphere 2 en 1999 et j'ai éprouvé des sensations très bizarres. Il y a un très fort magnétisme là-bas. La rencontre en octobre 2009 avec John Allen, le créateur visionnaire de Biosphere 2, fut le point d’orgue de cette enquête. J’ai essayé de résumer ce que j'ai appris sur Biosphere 2 le site du livre et mon blog.

La musique occupe également une place importante dans le livre.

Oui ! Pour écrire, j’ai besoin de me projeter dans un espace imaginaire où les personnages me parlent, où l'histoire me porte. Pour cela j’utilise beaucoup la musique, notamment la musique électronique mais aussi du jazz, de la musique classique et des musiques de film. Chaque chapitre a son ambiance, son rythme, et est associé à un morceau différent. La playlist principale de siècle bleu est d'ailleurs disponible sur le site du livre.

Le roman se déroule dans une multitude de lieux. Avez-vous beaucoup voyagé pour effectuer les repérages ?

Je n'ai effectué aucun déplacement ! L'empreinte carbone pour la conception de Siècle bleu est donc quasi nulle (si l'on exclue la consommation de mon ordinateur et les masses de livres achetés). Je me suis basé uniquement sur les souvenirs de lieux que j'avais déjà visités et pour les autres j'ai interviewé des gens ou je me suis renseigné par des livres ou le web. Google Earth et Wikipedia sont des outils extraordinaires. D'ailleurs j'ai créé un fichier pour Google Earth qui vous permet d'explorer tous les lieux du livre.

Abel, le leader charismatique de Gaïa, est également chamane, pourquoi ?

Abel est en effet un chamane dont l’animal totem est le jaguar noir. Le chamanisme remonte à la préhistoire. En occident, il s’agit d’un savoir oublié car on a tout fait pour l’éradiquer en l’assimilant à la sorcellerie. Or, le chamanisme est un moyen unique d’accéder à l’âme de la nature, de la réalité et aux mystères du cerveau. Je suis intimement persuadé qu’une grande partie de la résolution de nos problèmes repose dans une redécouverte de ces processus d’exploration de l’inconscient. Notre cerveau est le territoire inconnu qu’il nous faut apprendre à explorer et maîtriser.

Pourquoi avoir choisi ce prénom d’Abel ?

N’y cherchez pas un rapport avec l’histoire d’Abel et Caïn. La véritable réponse est quelque part sur mon blog. Vous trouverez facilement. Un indice : le prénom de sa femme, Lucy.

Que faites-vous dans la vie ?

Pendant longtemps j’ai été chercheur en mathématiques et en informatique, à Chicago notamment. Peu à peu je me suis éloigné de la recherche pour m’intéresser aux problèmes économiques du monde contemporain. Depuis 2000, je vis à Paris et depuis quelques années je travaille dans le secteur de l’énergie, domaine très complexe et clef pour le XXIème siècle. L’écriture occupe mes nuits et une partie de mon temps libre. Il y a un peu plus d'informations sur moi ici.

Ce n’est pas courant pour un scientifique de vouloir écrire un roman ?

Détrompez-vous. Beaucoup de scientifiques aiment lire et ont des projets d’écriture. L’élaboration de l’architecture d’un thriller est parmi ce que j’ai fait de plus complexe. La pratique des sciences m’a beaucoup aidé dans la phase de conception. Après il a fallu que je peaufine les techniques d’écriture (style gestion des dialogues, calibrage des personnages, gestion de l'intrigue et du suspens, ponctuation…). Cela a été tout aussi passionnant et il me reste encore énormèment à apprendre. Par rapport à un essai, le roman permet vraiment d’apporter une vraie richesse de points de vue. S’il est réussi, il peut aussi toucher le lecteur plus profondèment. Je suis d'ailleurs très curieux de voir ce que les lecteurs en retiendront et en retireront !

Siècle bleu est une saga. Où en êtes-vous du tome 2 ?

L’écriture est en cours. A ce stade je ne peux rien vous révéler, sauf que les deux tomes se suivent et que tome 2 s’étale sur 14 jours, comme le tome 1. Je suis content que le premier tome sorte car cette gestation a été trop longue ! J'ai hâte de voir le bébé vivre de façon autonome. Le tome 2 devrait aller plus vite et si tout se passe bien j’espère le finir pour qu’il soit publié en 2011.

Qu'est ce que vous détestez ?

Beaucoup de choses. Dans le désordre : l'inaction, le manque de courage, le mensonge, le déni, la vision court-terme, la cupidité, le pessimisme, le cynisme, le pillage, le non-respect des humains et de la vie, la corruption et le crime organisé. Il en manque probablement encore beaucoup.

Qu'est ce que vous aimez ?

L'inverse de ce qui est au-dessus. Mais aussi ma famille, mes amis et les gens en général. Notre planète évidemment.

Etes-vous toujours optimiste sur la poursuite de l'aventure humaine ?

Oui, résolument. J’ai deux enfants et il le faut ! Siècle bleu, c’est avant tout pour eux.

Merci et bon courage pour le lancement !

Propos recueillis par Curtis Newton.
Crédits photos : David Blavier.